jeudi 5 mai 2011

Dragons

Qui ne voudrait connaître la vraie nature et les secrets des dragons ? Il existe bien des grimoires, des légendes et quelques reliques, mais depuis des temps immémoriaux, bien avant la révélation d'Ethel, les dragons se sont faits rares et peu de mortels peuvent se flatter d'en avoir vu filer la silhoutte dans les cieux ou onduler sous les flots. Leur règne semble définitivement révolu. Selon les sources les plus sures, il ne resterait plus qu'une dizaine de dragons en activité : le dragon laineux de Whastor, le dragonnet à écailles noirs de Mehlen, les trois dragons à plumes multicolores de Quarzat, le dragon fantôme qui hante l'Archipel, le serpent marin de la Passe des larmes, l'hydre écarlate qui initia Antifer à la magie, la salamandre géante des marais de l'oubli, la vouivre du fleuve Elduhun, et la mythique tarasque métallique des gnomes d'Arnastasius. Mais les prêtres du temple de Wuxhan prétendent que plusieurs milliers de dragons dorment encore au fond des cavernes sous l'île-continent de Shu et que leurs prières ont pour seul but de prolonger leurs rêves. Les elfes bleus parlent d'une civilisation sous-marine dont les dragons seraient encore les seigneurs et maîtres. Enfin, les mémoires de Sarakholan affirment que les dragons sont encore plus nombreux qu'on ne le pense mais qu'ils ont pour la plupart adopté une autre apparence, notamment en se métamorphosant en djinns.
Les origines des dragons sont incertaines. Les chroniques gnomes recensent des centaines de milliers de "sauriens", lorsque les laksiens arrivèrent sur la planète, il y a sept éons. Mais elles ne donnent des détails sur leur comportement qu'à partir du moment où ils se mirent à "parler", c'est-à-dire à faire usage de la magie, et à lutter contre le pillage des ressources naturelles par les laksiens. Les dragons n'auraient donc été que des animaux avant que l'absorption des radiations de l'orichalque et des autres métaux sacrés ne les transforment en créatures incroyablement intelligentes et fabuleusement puissantes. Ils sont présentés ensuite comme des ennemis impitoyables et les chroniques sont consacrées pendant près de cent mille ans au tableau de chasse des laksiens, au décompte des pertes subies et au rendement décroissant des mines d'orichalque. A la fin, les laksiens renoncèrent à exploiter ce monde et rentrèrent chez eux en "oubliant" certaines colonies gnomes qui veillèrent durant un éon puis se mirent en stase.
Dans les chants des elfes, l'histoire est toute différente : les dragons sont "venus des étoiles". Ils nommèrent toutes choses sur la planète, les plantes, les animaux et les elfes. Puis ils engendrèrent les nains pour les servir, creuser les mines sans fins qui veinent le sous-sol de la planète, aménager les cavernes où ils aiment à se prélasser. Il est question d'une guerre "dans les étoiles" sans que soit précisé l'adversaire (certaines formules suggèrent qu'il s'agit d'autres dragons). Les "Anciens" sont donc à la fois les défenseurs de ce monde et des tyrans qui asservissent tous les êtres par le pouvoir de leur langue sacrée. Durant leur long sommeil, les elfes parviennent à se libérer et, pour certains, à regagner la surface de la planète où ils se dispersent et fondent les tribus. Lorsque les dragons se réveillèrent, ils tentèrent de reprendre le pouvoir et d'étendre leur domination aux hommes qui étaient apparus entre temps. Une alliance fut conclue entre les elfes échappés, les hommes (Lorian est brièvement mentionné) et les nains qui désiraient se rebeller. Les ressources en métaux sacrés avaient fondues et la puissance des dragons n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été. Ils devaient souvent se reposer sur de longue période durant lesquelles ils étaient vulnérables. Certains fuirent dans l'espace, d'autres se cachèrent, les plus coriaces prirent à leur service des humains qu'ils initièrent à la nécromancie.
Au début de l'éon actuel, les dragons ont disparu. Ils ont laissé derrière eux les "grands rêveurs", ceux qui ont préféré ne pas se réveiller, les djinns, qui sont des créatures humanoïdes à la peau bleue et qui leur sont visiblement apparentés par leur capacité à utiliser la langue sacrée et à absorber le fluide magique, la race humaine des "sang de dragons", qui subsiste encore dans l'Archipel et dont Sarakholan est le représentant le plus fameux, les nécromants, qui sont les restes maudits des hommes séduits par les mirages de l'immortalité, et les elfes noirs qui leur était demeurés fidèles et attendent leur retour. Avec leur évanouissement, le fluide magique devint libre et engendra les démons.
Pendant longtemps les races intelligentes ont vécu dans la hantise du retour des dragons, mais après la révélation, Antifer a rencontré les derniers groupes de grands rêveurs et conclut la paix avec eux. Ils étaient tous, à ses dires, déjà morts (même si certains l'ignoraient) et ne désiraient plus qu'à rejoindre le plan astral. Seuls les prêtres de Shu prétendent qu'il existe encore une myriade de dragons et que leur réveil serait une menace pour l'équilibre du monde.

mercredi 4 mai 2011

Comédiens

Les comédiens enpreintent la "voie des ombres". Ils ne s'agit pas seulement des baladins (acrobates, bateleurs, contorsionnistes, dompteur, jongleurs, ménestrels, saltimbanques et autres troubadours), qui divertissent leurs spectateurs par des simulacres, mais aussi des courtisanes (ce terme désignant aussi bien les mâles et les hermaphrodites que les femmes), qui dispensent le plaisir dans l'ombre des alcoves, et des voleurs et aigrefins, qui se dissimulent et agissent dans la pénombre.
Les comédiens savent se battre, mais ne sont pas des bretteurs de métier ; ils ensorcellent parfois à l'aide de chants et de musiques, mais ne sont pas de véritables magiciens ; ils charment les esprits par leurs caresses et leurs voix, mais n'ont pas le pouvoir mental des prêtres ; ils cultivent d'innombrables talents, mais ne sont point des ingénieurs. Les comédiens jouent avec les oripeaux des autres voies.



Ils agissent rarement seuls, car les "artistes" indépendants se heurtent souvent à l'hostilité de milices (dans les contrées loyales), de la populace ou de leurs pairs mieux organisés. C'est pourquoi ils rejoignent souvent des guildes, quand ils demeurent longtemps dans une cité ou une province, ou des troupes ambulantes, ou encore des équipes d'aventuriers. L'appartenance à une guilde implique un certain nombre de devoirs (dont une dime prélevée sur les "recettes") mais aussi l'interdiction de s'en prendre à ceux qui ont "librement" versé leur obole à la guilde. Cette appatenance est souvent signalée par un tatouage. Il est en théorie interdit d'appartenir à plusieurs guildes à la fois.
Une autre caractéristique des comédiens est leur "nom de scène", car il est agréable (et parfois inévitable) d'attirer la gloire lorsque l'on exerce ses talents. Un comédien répondra à ce nom lorsqu'il arbore son costume de prédilection, mais il saura faire preuve de discrétion dans un accoutrement plus sobre quand il faut passer inaperçu. L'identité véritable d'un comédien, bien qu'elle ne soit pas son nom secret, n'est connu que d'un petit nombre. La voie des ombres est donc avant tout l'art de passer de l'ombre à la lumière et inversement. Le nom et le visage du "Roi des voleurs" de la Geste n'ont, par exemple, jamais été révélés alors que sa postérité est presque aussi grande que celle des Avatars.
Une majorité de comédiens choisissent l'obédience chaotique, surtout quand ce sont davantage des brigands que des amuseurs, mais ils sont nombreux aussi à se placer sous le signe de la Balance, et il en même dans les rangs de l'Ordre qui officient dans le respect des lois en tant que bouffons, concubines attitrées, enquêteurs (pour débusquer leurs confrères) ou maîtres-assassins, par exemple.
En général, les comédiens ont pour règle de conduite de parvenir à leur fin avec la moindre violence. La beauté de l'arnaque consiste ainsi à obtenir du faisan son bien avec son consentement, le coupe-bourse opère sans qu'on le remarque, la courtisane laisse parfois même un bon souvenir à celui qu'elle déleste de son or. Il existe certes des guildes d'assassins dont les membres utilisent leurs talents pour tuer sur gage, cependant même les assassins n'éliminent que leur cible (et les témoins génants) et ne tuent point pour le plaisir (ce qui ne signifie pas qu'ils ne prennent pas de plaisir à tuer...).

mardi 3 mai 2011

Chaos

Le Chaos désigne l'obédience fondée par Antifer. Toutefois l'Avatar avait précisé que le Chaos ne l'avait pas attendu pour exister, qu'il était même une force antérieure à Ethel et, en un sens, à l'univers lui-même. Antifer a produit une importante littérature sur la nature du Chaos, le plus souvent sous forme d'aphorismes poétiques, de paradoxes, et de définitions négative (par exemple : "Le Chaos n'est pas le désordre car il n'y a pas d'ordre auquel le comparer" ou "Le Chaos n'est pas violence, il se rit des coups"). Invoquant des idées et des images en apparence contradictoires, la pensée chaotique ne se résume pas à une doctrine systématique, ni aux caricatures simplificatrices de ses détracteurs.
A la fin de la triarchie, Antifer a exprimé essentiellement des critiques :  à l'encontre de la triarchie ("le dieu des rêves nous a promis la paix parce que la paix n'est qu'un rêve"), à l'égard des efforts de Whastor pour imposer la paix par la force ("l'Ordre n'est pas la justice, il est juste une injustice qui dure"), contre la tempérance de Lydia qui "empêche les êtres d'être ce qu'ils sont", et finalement contre Ethel lui-même : "la solution fait partie du problème : un seul démon est pire que les démons").
En proclamant l'interprétation chaotique, Antifer fonda la seule obédience qui se réclame "par générosité" et se détache "par lucidité" du message d'Ethel. Il insista sur la valeur de la Liberté, sur la supériorité du Multiple sur l'unité, et sur l'idée de Progrès en tant que subversion des certitudes et dépassement des limites. La forme souvent moqueuse et exubérante de ces premières déclarations confère un caractère fondamentalement optimiste à ce Chaos originel qui épouse la spontanéité du monde, exalte toutes les tendances transformatrices et considère avec bienveillance toutes les incitations à l'action. Un esprit de tolérance, d'anarchisme joyeux et de fantaisie se dégage des premières initiatives d'Antifer. Des succès magiques et inattendus, des plaisirs intenses jusque là refusés, des réconciliations incroyables et des sacrifices consentis légèrement... autant de prodiges qui donnent au Chaos libre des origines l'apparence d'être une voie insoupçonnée et imprévisible pour réaliser le dessein d'Ethel à travers la réalisation de tous les possibles. L'esprit du Chaos libre d'Antifer est, selon la formule savante "l'énergie des devenirs divergents", mais il est aussi assez bien résumé par la maxime vulgaire : "Tous les chemins sont bons".
Mais le revers inévitable de la médaille -- les défaites stupides et les deuils fréquents, le saccage de tant de belles choses, le gachis des discordes trop aisément soulevées -- assombrirent rapidement de regrets et de souffrances un message compris avec peu de subtilité par la plupart comme "Rien n'est interdit" (interprétation que l'Avatar se refusa toujours à démentir sinon en contredisant les interprétations malveillantes des loyaux et des neutres : "Le Chaos n'encourage pas la trahison, mais combien se sont trahis en demeurant fidèles ?", "Il n'est pas plaisant de tuer, pas plus qu'il n'est de donner la vie", etc.)
Dans un second temps, et jusqu'à ce qu'il se retire à nouveau dans les entrailles de la terre, Antifer proposa une conception plus aride et plus savante du Chaos. Le Chaos est la "jeunesse de l'être", la préindividualité qui précède toute chose qui vient à l'être. Il confère la métastabilité qui permet la transformation physique, l'évolution biologique, et le progrès des esprits. Il transgresse les limites individuelles. Les textes de cette période sont plus longs, esotériques, et défendent des positions surprenantes même pour celui qu'on surnommait le Farceur : Antifer affirme ainsi que la technologie des gnomes est la vraie magie, que la liberté individuelle est illusoire, que le Chaos n'existe qu'en cessant d'exister. L'exégèse devient presque impossible quand l'Avatar authentifiera tous les textes apocryphes et affirmea que tout ce qui se dit au sujet du Chaos "est vrai car la vérité elle aussi est un mensonge". Certains sophistes chaotiques prétendront alors qu'il faut entendre tous les messages chaotiques à l'envers, mais cela ne clarifie point (si tant est que le but soit encore de "clarifier").
Le premier visage du Chaos, celui du Chaos originel ou Chaos libre, est encore vivace et très populaire : il est revendiqué par une multitude de peuplades et de créatures monstrueuses, par les nations barbares comme par les lettrés libertins. Mais la confrontation avec l'Ordre et la Balance au moment des réformes religieuses du huitième et neuvième siècle va amplifier le second courant, celui ou le Chaos libre s'exacerbe et se mue en un "Chaos total". Ce dernier s'inspire un peu de la sophistique tardive, amis il est moins érudit et il est surtout marqué par un grand pessimisme qui tend même vers le nihilisme. Le Chaos n'est qu'une étincelle éphémère qui finira par s'éteindre quand la mort étendra son ordre sur toute chose et seul le refus de toute forme d'autorité transcendante, y compris celle qui réclame de respecter les autres créatures et sociétés chaotiques ou de révérer Antifer, lui permet de subsister. Le Chaos total théorise évidemment son refus d'apparaître comme une doctrine unifiée, mais il élabore néanmoins une "discipline de la désobéissance" et un "culte du hasard". Les sociétés chaotiques, qui avaient toujours été des assemblages assez baroques de privilèges et de licences, furent alors rénovées par l'institution de la "Roue" qui assure une saine instabilité du gouvernement dans les royaumes chaotiques tels que la kleptocratie de Shanizade.
Politiquement, le Chaos a été invoqué par tous les types de gouvernement, même si les monarchies sont en général loyales et les républiques neutres. Car le Chaos ne définit pas une structure ou une absence de structure, mais un scepticisme général à l'égard des lois et des traditions. Un chaotique est plutôt un libertaire, un partisan du "laisser aller", en faveur des Etats faibles et des sociétés liberales. Le Chaos originel tolère en outre "l'hypocrisie" c'est-à-dire le fait d'obéir extérieurement aux préceptes d'une autre obédience pour y désobéir en cachette, ce qui explique sa popularité auprès des comédiens et des voleurs (le Roi des voleurs est d'ailleurs aussi considéré comme une figure tutélaire des chaotiques). Le Chaos total engage au contraire ses adeptes à faire preuve d'une intransigeance quasi-permanente avec les habitudes, toutes les formes de contrainte sociale, et l'asservissement (y compris ceux contracté à cause de l'appat du gain !). Il enjoint à ses adeptes de vivre "en nomade", en ne formant de société que sur la base d'accords temporaires, en tolérant l'association avec n'importe quelle obédience mais sans que cela bride l'expression de sa propre liberté. Le trait commun remarquable de tous les chaotiques est leur refus de l'esclavage.

lundi 2 mai 2011

Barnabé

Barnabé était un érudit et artisan gnain (c'est-à-dire un hybride engendré par la fécondation d'une naine par un cristal gnomique) qui fut, si l'on se fie aux antiques chroniques gnomes (qui le nomment Barnabeus ou Barnabelus) le grand chambellan de maints empereurs aldorins. Toutefois, il doit surtout sa renommée au fait d'avoir été l'un des compagnons des Avatars lors de leurs quêtes. Il est mentionné pour la première fois dans la Geste quand Whastor parvient à traverser les marais obscurs, afin de rejoindre l'arbre blanc, dans un ballon dirigeable équipé d'hélices "construit et piloté par Barnabé". Au cours de la guerre de religion, il se montre un formidable artificier, un grand ingénieur militaire, mais aussi un cartographe et un architecte civil (la réalisation du grand aqueduc keshian lui est attribué). Comme il fait preuve d'un savoir encyclopédique et pratique incomparable, il est considéré par les aventuriers comme le patron des ingénieurs. La Geste mentionne encore sa saleté (il est crasseux), son caractère acariatre et taciturne, ainsi que son goût immodéré pour les métaux sacrés tels que l'orichalque.


Barnabé l'industrieux

Il disparaît au moment de l'instauration de la triarchie. Selon certaines traditions, il aurait succombé à la pétrification lente, selon d'autres, il aurait construit une "arche immense" pour son peuple d'hybrides stériles et l'aurait fait voguer vers le continent perdu de l'ouest. Il arrive que les prêtres loyaux et neutres évoquent sa mémoire avec respect lors de certaines cérémonies, tandis que les chaotiques minorent son importance et le méprise.

dimanche 1 mai 2011

Balance

La Balance est le symbole de l'obédience fondée par Lydia. On la désigne aussi comme l'Equilibre ou la Neutralité avec quelque nuance : les traditionalistes intreprètent l'enseignement de Lydia en insistant sur l'équilibre qu'elle prone entre l'Ordre et le Chaos, tandis que les réformateurs professent en revanche une forme d'indifférence face aux autres obédiences au nom de la "neutralité absolue".
Dans les sermons de l'Avatar, les termes Balance, Equilibre et Neutralité sont utilisés de manière interchangeable. A la fin de la triarchie, le refus de Lydia de prendre partie dans le conflit entre Whastor et Lydia fait apparaître son souhait de maintenir un équilibre entre l'Ordre et le Chaos en demeurant neutre. Mais toute la doctrine de Lydia vise à présenter sa position comme première par rapport aux deux autres : elle seule demeure fidèle au message initial d'Ethel tandis que les autres Avatars s'en écartent et le dénaturent.
La Balance n'entend d'ailleurs point assurer seulement un équilibre entre l'Ordre et le Chaos, mais plus généralement entre la magie et la technologie, le féminin et le masculin (ce qui est particulièrement frappant pour une sylvestre), la vie et la mort, l'ombre et la lumière et toutes les polarités présentes au sein de la nature. Ancienne druidesse, Lydia s'adresse à toutes les créatures vivantes et leur enjoint à se respecter au sein du grand cycle de la Nature. Sa neutralité est définie de manière éthique et dynamique comme la recherche d'un "juste milieu", qui dépasse de loin le conflit des obédiences.
Le contraste entre les disciples traditionnalistes de Lydia, qui se réclament de l'Equilibre, et ceux qui se reconnaissent dans la Neutralité absolue n'apparut que bien plus tard avec la réforme du culte impulsé par Gahudin. Auparavant la Balance se présente avant tout comme une justice correctrice face aux excès des loyaux et des chaotiques. Même si la prudence intime en premier lieu de ne pas troubler le cycle normal des événements, et donc de ne pas s'alarmer outre mesure d'un déséquilibre temporaire, la doctrine de l'Equilibre est finalement toujours assez interventionniste. Les prêtres-médecins de Shu l'ont résumé fidèlement : "Rendre (plus) grand ce qui est (trop) petit et (plus) petit ce qui est (trop) grand". La Balance exalte ainsi traditionnellement l'altruisme et l'assistance apportée à la victime. Mais Gahudin donne une interprétation nouvelle et plus radicale de la Neutralité absolue en faisant de la recherche de la paix intérieure l'objectif principal et de l'indifférence aux distractions de l'Ordre et du Chaos son moyen. Les serviteurs de la Balance qui se réclament de lui sont donc davantage portés à laisser faire en s'en remettant à une sagesse immanente pour rétablir les équilibres du monde. Ils se concentrent à poursuivre avec constance leurs intérêts personnels et immédiats, récusant, par exemple, les renversements d'alliance qui caractérisent la politique traditionnelle de la Balance. Les traditionnalistes trouvent, quant à eux, que Gahudin le "marchand de sagesse" a réduit le message pacifique d'Ethel à trop de "vacuité", et que les neutres absolus manquent à la compassion envers les vivants qui anime Lydia.
On note l'importance des idées de Lydia en médecine, en éthologie et dans toutes les sciences du vivant, en particulier pour ce qui est du développement de la théorie des humeurs, la formulation de l'idée d'"homéostasie" et son emphase sur le rôle de la sexualité dans les cultures des différentes races.
Les loyaux accusent souvent la Balance de "versatilité", les chaotiques l'accusent plutôt de "stagnation".

samedi 30 avril 2011

Antifer

Avant de devenir l'Avatar du Chaos, Antifer (ou Antipher) était déjà un maître des arcanes fameux, sans doute le plus grand mage de son temps, et toutes les écoles de magie, même celles de l'Ordre, le révèrent avec Sarakholan et Gal-Dynnis.


Une représentation assez classique d'Antifer (l'armure est en métal sacré)

Antifer était un elfe hermaphrodite à la peau sombre. On sait qu'il est issu d'une tribu troglodyte, carnivore, et sélénite (adoratrice de la lune). Il ne semble pas avoir été de haute extraction et l'on ignore qui furent ses parents. La légende veut qu'il ait été initié par un dragon cavernicole (par la suite, il témoigna toujours du plus grand respect à cette race vénérable). Il s'illustra en revanche par sa férocité au cours de la guerre souterraine que son peuple mena contre les dives, les trolls et les monstres visqueux des cavernes humides. Les récits de ces hauts faits sont assez comiques et son surnom de "Farceur" date de cette époque où il prenait un malin plaisir à se déguiser et à se mêler à ses ennemis pour semer la discorde parmi eux. L'expression "Une de trop, farceur !" s'emploie encore couramment, quand on s'aperçoit qu'il y a une personne en trop à une réunion secrète et que l'on ne sait qui.
Mais il est surtout célèbre pour sa quête obstinée des savoirs oubliés et son travail de recollection des sortilèges. On lui prête la codification des cycles élémentaires du feu et des ténèbres, la fondation de la bibliothèque aléatoire de Koanirl (où des grimoires sont tirés au sort chaque décade pour être recopiés, réécrits ou brûlés), et celle aussi de l'école de magie de la Dalle (où les apprentis sont enfermés pendant onze ans). Alors qu'il est déjà très âgé et passe le plus clair de son temps sur le plan astral, il entend l'appel d'Ethel sous la forme d'un rêve lui enjoignant d'atteindre l'Arbre blanc "par les racines". Il comprend alors que ce fameux "arbre blanc" n'était rien d'autre que la traduction humaine du nom du magicien sylvestre Gal-Dynnis (le bouleau) et il chercha en vain à localiser la tombe de cet enchanteur disparu depuis près de mille ans. Epuisé, désespéré, il s'enfonça dans les entrailles de la terre pour y rejoindre son mausolé.
Lors de la révélation, Antifer émerge de la terre au pied de l'arbre, rajeuni et plus puissant et facétieux que jamais. La Geste rapporte ensuite les quêtes accomplies au côté de Whastor, Lydia, Barnabé et du Roi des voleurs. Il agit surtout par ruse, fait preuve de malice cruelle, parfois de grande libéralité. C'est aussi un séducteur et on lui prête une descendance avec les créatures étonnantes (araignées géantes, poulpeuses, dives et manticores !). Il apaise et endort bien des dragons au royaume de Shu.
Pendant le bref règne de la triarchie des Avatars, il est le premier à émettre des doutes sur la foi en Ethel : il considère, de façon assez contradictoire, que l'universalité de la foi exige de convertir toutes les créatures vivantes (Lydia l'approuve) ou de les détruire (Whastor l'approuve), mais qu'il faut tolérer le culte de certains esprits démoniaques (Lydia ne tolère que les Animaliers et Whastor aucun culte dissident). Son message politique devient alors contradictoire : fondamentalement anarchiste (jusqu'à encourager la révolte contre la triarchie), il défend plutôt la démocratie, mais aussi un despotisme éclairé. Il justifie surtout la révolte contre l'ordre établi, qui masque les conflits. Cet activisme lui vaut la méfiance précoce de la prudente Lydia. Il diffuse ensuite sa fameuse doctrine de l'équivocité radicale du message d'Ethel, ce qui achève de le brouiller avec Whastor. Ses déclarations finissent par devenir de plus en plus étranges, comme sa dénonciation des rêves illusoires (qui s'achève ainsi : "Le Chaos n'est qu'un rêve et je ne sais pas le rêver"), son acceptation des calomnies diffusées sur son compte ou son éloge des gnomes, qui auraient raison de ne pas croire en la magie...
Après son retrait souterrain, Antifer a du continuer d'intervenir dans les destins des royaumes civilisés sous des apparences fallacieuses (en tant que Farceur) mais cela est difficile à établir avec certitude.

vendredi 29 avril 2011

Avatars

Depuis le temps que je cherchais à raconter mes souvenirs de WALE sans parvenir à trouver la forme appropriée (récit, manuel, guide touristique, encyclopédie ?), j'ai amassé, oublié, modifié tant de bribes que je ne sais plus par où commencer.
Disons par la lettre A.

A comme "Avatars" parce que ce sont eux qui donnent son nom au monde de WALE : Whastor, Antifer, Lydia et Ethel. A aussi comme "athée", puisque l'une des particularités de ce monde est qu'il ignore la notion de Dieu créateur et même, en fin de compte, de dieux au sens ordinaire du terme.
Si les djinns et les elfes croient en quelque chose, c'est dans les étoiles, car la transmigration des âmes est réglée par un culte astral et leurs accouplements par une astrologie complexe ; les gnomes révèrent bien des "créateurs" mais ce sont les laksiens, des extra-terrestres dont ils sont les seuls à garder la mémoire sous forme de séries de zéros et de uns ; les nains vouent un culte à une sorte de panthéon, cela est assurén mais celui-ci est constitué par le "Marteau" de la "Forge", le "Wagonnet" de la "Mine", la "Pierre" de la "Voûte" ou encore "l'Alambic" de la "Brasserie"... ; bien que tous les craignent et connaissent leur pouvoir, on ne peut pas dire non plus que les dragons soient des dieux : ils ont nommés toute chose et leur langue commande aux êtres, mais ils sont mortels, paresseux et indifférents à ce que pensent les autres races ; quant aux nouvelles races, parmi lesquelles les hommes, ils n'ont pas développé de véritable religion avant de rencontrer les esprits du plan astral qui devinrent les démons.
On parle parfois d'Ethel comme du "Dieu endormi" et de Whastor, Antifer et Lydia comme de ses "Avatars", mais tout le monde sait (et la Geste n'en fait pas mystère) qu'Ethel n'était à l'origine qu'un démon parmi les autres et que les avatars furent des aventuriers un peu trop chanceux.
La Geste, qui tient lieu de "théologie" commune pour les trois obédiences, rapporte que les démons se mirent à pulluler quand l'âge des dragons fut révolu. Des esprits du plan astral parvinrent à trouver un point d'ancrage dans le plan matériel et leurs pouvoirs croissaient en fonction des offrandes qui leur étaient faites. Les humains surtout, mais aussi les cyclopes, les félys, les formoirés et les vampires, les adoraient volontier car ils y trouvaient de précieux alliés face aux anciennes races (surtout les dragons encore réveillés, les djinns tyranniques et les elfes carnivores). Même si leur aide fut déterminante, finalement, l'insatiable appétit de ces démons se révéla une calamité pour l'empire des hommes : leur hégémonie à peine établie, ils se déchirèrent en luttes intestines alimentées par les rivalités entre cultes démoniaques. Les démons les plus puissants étaient ceux qui exigeaient les sacrifices les plus sanglants. Il était loin le temps où un esprit des sources offraient à un village sa protection contre les raids elfiques en échange de quelques boisseaux de blés et d'une écuelle de baies sauvages. C'est dans ce contexte de guerres civiles perpétuelles qu'Ethel se fit remarquer : ce démon ne se nourissait en effet que des cauchemards de ses adorateurs, et il leur dispensait en échange le réconfort, l'illusion du bonheur et, parfois, un peu de sagesse au cours de leur sommeil.
La Geste indique que ce démon des mauvais songes, à force de dévorer les hantises des mortels, fut ému de leur désespoir et qu'il offrit un rêve plus beau que les autres aux nouvelles et anciennes races (car de nombreux elfes et nains s'étaient convertis à divers cultes démoniaques) : le rêve de la paix, le rêve d'un monde débarrassé des démons. Ce rêve prenait la forme d'un appel pour les aventuriers les plus puissants de ces temps anciens. Ils devaient trouver un "arbre blanc", s'y rassembler et y attendre une révélation.
Quand celle-ci eut lieu, les trois aventuriers les plus puissants autour de l'arbre blanc étaient Whastor, un invincible guerrier humain balafré qui venait d'arriver, Antifer, l'un des plus grands mages de tous les temps, elfe hermaphrodite à la peau sombre qui avait disparu sous terre depuis plus d'un siècle, et Lydia une druidesse sylvestre qui s'étaient mise en méditation au lieu de rencontre avant même que l'arbre ne pousse, un millénaire peut-être donc avant que la prophétie ne se réalise. Ils devinrent les hérauts d'Ethel, ses Avatars, et répandirent son culte en exterminant les autres démons (et parfois aussi leurs adorateurs...). Puis ils rejoinrent Ethel sur le plan astral et eurent une seconde révélation.
Revenu sur le plan matériel, ils administrèrent le monde en son nom : Whastor unifia les royaumes civilisés, Lydia parcourut la nature sauvage, Antifer explora les entrailles de la terre.
Mais ils ne purent dissimuler longtemps la nature de la seconde révélation : Ethel s'était endormi et avait abandonné le monde "réel" à son sort ; il laissait à ses trois Avatars le soin du monde matériel. Alors des résistances se firent jour : débarrassés des démons, les peuples ne ressentaient plus comme autrefois la nécessité de soutenir les avatars, d'autres ne les avaient jamais accepté, certains démons s'étaient dissimulés et sortirent de leur retraite. Plus graves, des dissensions naquirent entre les trois avatars et ce fut la "grande divergence" : trois interprétations différentes du message pacifique d'Ethel se développèrent de façon contradictoire. Whastor insistait sur la justice et l'ordre comme condition de la paix, Antifer sur la liberté et le mouvement du progrès, Lydia sur l'équilibre et le respect des différences. Les obédiences de l'Ordre, du Chaos et de la Balance en résultèrent.
Comme on le voit, les Avatars ne sont pas de véritables dieux : ils sont d'origine mortelle et, deux mille ans après leur avènement, personne ne sait s'ils sont encore en vie ou s'ils sont devenus des sortes de démons subsistant sur le plan astral et n'agissant qu'aux travers de leurs adorateurs. Il faut souligner que le culte des Avatars proscrit les sacrifices autres que symboliques (il est normalement interdit de faire couler le sang en leur nom), mais cette règle de base commune est souvent enfreinte durant les guerres de religion modernes. La foi en Ethel existe, mais elle se résume en la croyance que le dieu endormi se réveillera un jour et ramènera la paix. Les obédiences ne sont pas non plus des religions, plutôt des philosophies, des préceptes dérivés de certaines valeurs et des manières de comprendre le monde.
Ajoutons que la représentation des avatars est variable selon les obédiences : les loyaux ne représentent que Whastor et selon un modèle qui varie peu, les chaotiques représentant Antifer sous toutes sortes de formes et font de nombreuses satires obsènes des autres avatars, les neutres représentent peu Lydia, sous une figure plus ou moins maternelle ou sévère, et ils vénèrent aussi des images de l'arbre blanc.