mardi 3 mai 2011

Chaos

Le Chaos désigne l'obédience fondée par Antifer. Toutefois l'Avatar avait précisé que le Chaos ne l'avait pas attendu pour exister, qu'il était même une force antérieure à Ethel et, en un sens, à l'univers lui-même. Antifer a produit une importante littérature sur la nature du Chaos, le plus souvent sous forme d'aphorismes poétiques, de paradoxes, et de définitions négative (par exemple : "Le Chaos n'est pas le désordre car il n'y a pas d'ordre auquel le comparer" ou "Le Chaos n'est pas violence, il se rit des coups"). Invoquant des idées et des images en apparence contradictoires, la pensée chaotique ne se résume pas à une doctrine systématique, ni aux caricatures simplificatrices de ses détracteurs.
A la fin de la triarchie, Antifer a exprimé essentiellement des critiques :  à l'encontre de la triarchie ("le dieu des rêves nous a promis la paix parce que la paix n'est qu'un rêve"), à l'égard des efforts de Whastor pour imposer la paix par la force ("l'Ordre n'est pas la justice, il est juste une injustice qui dure"), contre la tempérance de Lydia qui "empêche les êtres d'être ce qu'ils sont", et finalement contre Ethel lui-même : "la solution fait partie du problème : un seul démon est pire que les démons").
En proclamant l'interprétation chaotique, Antifer fonda la seule obédience qui se réclame "par générosité" et se détache "par lucidité" du message d'Ethel. Il insista sur la valeur de la Liberté, sur la supériorité du Multiple sur l'unité, et sur l'idée de Progrès en tant que subversion des certitudes et dépassement des limites. La forme souvent moqueuse et exubérante de ces premières déclarations confère un caractère fondamentalement optimiste à ce Chaos originel qui épouse la spontanéité du monde, exalte toutes les tendances transformatrices et considère avec bienveillance toutes les incitations à l'action. Un esprit de tolérance, d'anarchisme joyeux et de fantaisie se dégage des premières initiatives d'Antifer. Des succès magiques et inattendus, des plaisirs intenses jusque là refusés, des réconciliations incroyables et des sacrifices consentis légèrement... autant de prodiges qui donnent au Chaos libre des origines l'apparence d'être une voie insoupçonnée et imprévisible pour réaliser le dessein d'Ethel à travers la réalisation de tous les possibles. L'esprit du Chaos libre d'Antifer est, selon la formule savante "l'énergie des devenirs divergents", mais il est aussi assez bien résumé par la maxime vulgaire : "Tous les chemins sont bons".
Mais le revers inévitable de la médaille -- les défaites stupides et les deuils fréquents, le saccage de tant de belles choses, le gachis des discordes trop aisément soulevées -- assombrirent rapidement de regrets et de souffrances un message compris avec peu de subtilité par la plupart comme "Rien n'est interdit" (interprétation que l'Avatar se refusa toujours à démentir sinon en contredisant les interprétations malveillantes des loyaux et des neutres : "Le Chaos n'encourage pas la trahison, mais combien se sont trahis en demeurant fidèles ?", "Il n'est pas plaisant de tuer, pas plus qu'il n'est de donner la vie", etc.)
Dans un second temps, et jusqu'à ce qu'il se retire à nouveau dans les entrailles de la terre, Antifer proposa une conception plus aride et plus savante du Chaos. Le Chaos est la "jeunesse de l'être", la préindividualité qui précède toute chose qui vient à l'être. Il confère la métastabilité qui permet la transformation physique, l'évolution biologique, et le progrès des esprits. Il transgresse les limites individuelles. Les textes de cette période sont plus longs, esotériques, et défendent des positions surprenantes même pour celui qu'on surnommait le Farceur : Antifer affirme ainsi que la technologie des gnomes est la vraie magie, que la liberté individuelle est illusoire, que le Chaos n'existe qu'en cessant d'exister. L'exégèse devient presque impossible quand l'Avatar authentifiera tous les textes apocryphes et affirmea que tout ce qui se dit au sujet du Chaos "est vrai car la vérité elle aussi est un mensonge". Certains sophistes chaotiques prétendront alors qu'il faut entendre tous les messages chaotiques à l'envers, mais cela ne clarifie point (si tant est que le but soit encore de "clarifier").
Le premier visage du Chaos, celui du Chaos originel ou Chaos libre, est encore vivace et très populaire : il est revendiqué par une multitude de peuplades et de créatures monstrueuses, par les nations barbares comme par les lettrés libertins. Mais la confrontation avec l'Ordre et la Balance au moment des réformes religieuses du huitième et neuvième siècle va amplifier le second courant, celui ou le Chaos libre s'exacerbe et se mue en un "Chaos total". Ce dernier s'inspire un peu de la sophistique tardive, amis il est moins érudit et il est surtout marqué par un grand pessimisme qui tend même vers le nihilisme. Le Chaos n'est qu'une étincelle éphémère qui finira par s'éteindre quand la mort étendra son ordre sur toute chose et seul le refus de toute forme d'autorité transcendante, y compris celle qui réclame de respecter les autres créatures et sociétés chaotiques ou de révérer Antifer, lui permet de subsister. Le Chaos total théorise évidemment son refus d'apparaître comme une doctrine unifiée, mais il élabore néanmoins une "discipline de la désobéissance" et un "culte du hasard". Les sociétés chaotiques, qui avaient toujours été des assemblages assez baroques de privilèges et de licences, furent alors rénovées par l'institution de la "Roue" qui assure une saine instabilité du gouvernement dans les royaumes chaotiques tels que la kleptocratie de Shanizade.
Politiquement, le Chaos a été invoqué par tous les types de gouvernement, même si les monarchies sont en général loyales et les républiques neutres. Car le Chaos ne définit pas une structure ou une absence de structure, mais un scepticisme général à l'égard des lois et des traditions. Un chaotique est plutôt un libertaire, un partisan du "laisser aller", en faveur des Etats faibles et des sociétés liberales. Le Chaos originel tolère en outre "l'hypocrisie" c'est-à-dire le fait d'obéir extérieurement aux préceptes d'une autre obédience pour y désobéir en cachette, ce qui explique sa popularité auprès des comédiens et des voleurs (le Roi des voleurs est d'ailleurs aussi considéré comme une figure tutélaire des chaotiques). Le Chaos total engage au contraire ses adeptes à faire preuve d'une intransigeance quasi-permanente avec les habitudes, toutes les formes de contrainte sociale, et l'asservissement (y compris ceux contracté à cause de l'appat du gain !). Il enjoint à ses adeptes de vivre "en nomade", en ne formant de société que sur la base d'accords temporaires, en tolérant l'association avec n'importe quelle obédience mais sans que cela bride l'expression de sa propre liberté. Le trait commun remarquable de tous les chaotiques est leur refus de l'esclavage.

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